
Publié le 30/05/2025, mis à jour le 02/06/2025
Renforcer la résilience maritime des PTOM (étude)
-
À l’échelle de l’Union européenne, l’économie bleue a généré plus de 623 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, contribuant à hauteur de 171 milliards d’euros en valeur ajoutée brute et employant 3,6 millions de personnes. Bien que ces chiffres témoignent de l’importance croissante du secteur, ils sous-estiment encore son impact réel, notamment en raison de l’absence de données consolidées sur les secteurs émergents (tels que la biotechnologie bleue, les énergies marines renouvelables, le dessalement, etc.) et les effets indirects sur les chaînes de valeur.
Depuis la pandémie de COVID-19, le secteur a fait preuve d’une forte résilience, avec une reprise marquée à partir de 2021. Certains sous-secteurs, comme celui des énergies marines renouvelables, ont connu une croissance exceptionnelle. Toutefois, cette dynamique reste vulnérable face aux tensions géopolitiques, à l’inflation des prix de l’énergie et à l’exposition accrue des zones côtières aux effets du changement climatique — en particulier dans les régions insulaires et ultrapériphériques -
Dans ce contexte, les Pays et Territoires d’Outre-Mer (PTOM), dotés d’une biodiversité marine exceptionnelle et de vastes Zones Économiques Exclusives (ZEE), jouent un rôle de sentinelles en première ligne de la transition vers une économie bleue durable. Pourtant, leur vulnérabilité écologique et financière demeure critique, appelant à des stratégies adaptées en matière de finance climatique et de protection des écosystèmes.
-
Cette note couvre 25 pays et territoires d’outre-mer européens et britanniques situés dans les régions de l’Atlantique, des Caraïbes, du Pacifique, des zones polaires et de l’océan Indien. Étant donné la vaste répartition géographique et la diversité administrative de ces territoires, les données standardisées et complètes sont souvent indisponibles ou incohérentes. Par conséquent, les données présentées dans cette note proviennent d’un mélange de sources institutionnelles et d’estimations proportionnelles fondées sur les meilleures preuves disponibles.
Les principales sources utilisées incluent les rapports sur l’économie bleue de l’Union européenne ainsi que des documents techniques du programme britannique Blue Belt dirigé par le Foreign, Commonwealth and Development Office. Les territoires français s’appuient sur des données économiques marines compilées par l’IFREMER, en particulier pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française. D’autres références proviennent d’institutions régionales dans les domaines de la pêche et du tourisme, comme la FAO, la Communauté du Pacifique et l’Organisation du tourisme des Caraïbes, ainsi que de la littérature scientifique et grise.
Dans les territoires où les données statistiques spécifiques font défaut, l’analyse repose sur des estimations indicatives. Celles-ci sont éclairées par des comparaisons avec des territoires de profil similaire et des rapports thématiques. Les pourcentages estimés concernant le poids des secteurs — tels que le tourisme marin ou la pêche — ne représentent pas des parts formelles du PIB. Ils reflètent plutôt l’importance relative de chaque secteur dans la structure de l’économie bleue locale.
Cette méthodologie présente plusieurs limites. Premièrement, de nombreux territoires ne publient pas de données désagrégées ou actualisées sur leurs secteurs marins. Deuxièmement, les tailles de population et les niveaux d’autonomie économique varient considérablement, rendant les comparaisons directes imparfaites. Dans les territoires inhabités ou administrés à des fins militaires, comme le Territoire britannique de l’Antarctique ou le Territoire britannique de l’océan Indien, les activités sont évaluées sous l’angle de la recherche et de la conservation plutôt que de la production économique. -
La Commission Européenne définit l’économie bleue comme « l’ensemble des activités économiques liées aux océans, mers et côtes, y compris les activités de soutien directes et indirectes nécessaires à son fonctionnement ». Elle désigne l’ensemble des activités économiques liées aux océans, aux mers et aux zones côtières – qu’il s’agisse de secteurs historiques comme la pêche ou le transport maritime, ou de filières émergentes telles que les énergies marines renouvelables, la biotechnologie marine ou la surveillance des milieux marins.
Le secteur connaît une croissance rapide à l’échelle mondiale. Selon l’OCDE, l’économie bleue représente déjà 1 500 milliards de dollars, un chiffre appelé à doubler d’ici 2030. Cette dynamique en fait une source majeure d’opportunités économiques, notamment en matière de croissance, d’emplois, de revenus et de transition vers des systèmes durables, à condition de préserver les écosystèmes marins qui en sont le socle.
L’Union européenne reconnaît cette économie comme un pilier de sa transition écologique et de sa compétitivité globale. La France, grâce à ses territoires ultramarins, dispose du 2e espace maritime mondial (près de 11 millions de km² de ZEE), ce qui confère à son économie bleue un potentiel unique, tant en termes de croissance qu’en termes de responsabilité environnementale. Selon les Données économiques maritimes françaises 2021 publiées par l’IFREMER, l’économie bleue représente 1,5 % du PIB français, soit plus de 40 milliards d’euros de valeur ajoutée, et environ 525 000 emplois, correspondant à 1,8 % de l’emploi national. Ce poids économique est comparable à celui de grandes puissances maritimes comme l’Allemagne ou les États-Unis. Il reste cependant inférieur à celui de pays comme le Royaume-Uni qui partage avec la France un long littoral et une vaste ZEE.
À l’échelle européenne, la contribution de la France à l’économie bleue représente environ 9 % des emplois et 12 % de la valeur ajoutée brute, soit une part encore inférieure à son poids économique global dans l’Union européenne, où le PIB français représente 17 % du total. Ce décalage souligne le potentiel encore sous-exploité de la France dans ce secteur stratégique, en particulier à travers ses territoires ultramarins.
Les PTOMs jouent un rôle central dans cette dynamique. Dotés d’une biodiversité marine exceptionnelle – récifs coralliens, mangroves, espèces endémiques – ils sont à la fois des réservoirs de vie et des territoires vulnérables face aux changements climatiques, à l’élévation du niveau de la mer, à la pollution et à la surexploitation des ressources halieutiques. Ils présentent des profils économiques maritimes contrastés selon leur région, mais partagent une dépendance forte à l’économie bleue pour leur développement durable, leur sécurité alimentaire et leur résilience socio-écologique. -
Dans la région du Pacifique, l’économie bleue repose principalement sur la pêche vivrière et artisanale, indispensable à la souveraineté alimentaire locale, notamment à Wallis-et-Futuna et en Polynésie française. Le tourisme marin, bien que présent, est souvent à petite échelle et axé sur l’écotourisme et la valorisation des savoirs traditionnels. La région se distingue également par la perliculture (perles noires de Polynésie), les aires marines protégées de grande ampleur (comme le Parc de la mer de Corail en Nouvelle-Calédonie), et l’émergence de secteurs d’innovation comme la biotechnologie marine ou la recherche sur les écosystèmes récifaux.
Dans l’Atlantique, la pêche artisanale reste une composante centrale, en particulier à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les territoires de cette région, comme Saint-Hélène ou Tristan da Cunha, ont fait de la conservation marine un axe structurant, avec des aires protégées étendues et des efforts de surveillance halieutique renforcés dans le cadre du programme britannique Blue Belt. Le tourisme bleu y est encore marginal mais en développement, notamment à travers l'observation de la faune marine et le tourisme scientifique.
Les territoires des Caraïbes présentent un modèle économique bleu largement dominé par le tourisme côtier et maritime, qui constitue la principale source de devises. Des territoires comme les Îles Vierges britanniques, Saint Martin ou Bonaire dépendent fortement d’activités telles que la plaisance, la plongée sous-marine et les croisières. Toutefois, cette spécialisation s’accompagne d’une forte pression sur les écosystèmes côtiers, souvent aggravée par l’urbanisation, les épisodes climatiques extrêmes et une capacité limitée de gestion des ressources. Les secteurs de la pêche artisanale et de la conservation y sont présents, mais demeurent concurrencés par les enjeux fonciers et touristiques. -
Les PTOMs européens et britanniques possèdent un patrimoine marin d’une valeur écologique exceptionnelle, réparti sur des zones économiques exclusives qui couvrent plusieurs millions de kilomètres carrés.
Bien que leur population soit faible, ces territoires concentrent une part disproportionnée de la biodiversité mondiale, abritant des écosystèmes uniques, des espèces endémiques, et des milieux naturels parmi les mieux préservés de la planète. Ils jouent un rôle de sentinelles de la biodiversité mondiale, en tant que refuges pour des espèces menacées et réservoirs de services écosystémiques essentiels.
Dans le Pacifique, les récifs coralliens des archipels de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie comptent parmi les plus vastes et diversifiés au monde. La Polynésie est connue pour ses lagons turquoise, ses requins récifaux, ses raies et poissons tropicaux colorés. La Nouvelle-Calédonie abrite le plus grand lagon fermé du monde, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, et plus de 400 espèces de coraux.
Dans l’Atlantique Sud, les îles subantarctiques françaises et britanniques constituent des sanctuaires pour des millions d’oiseaux marins (albatros, manchots royaux) et des mammifères marins (éléphants de mer, otaries, baleines). Ces zones, parmi les plus éloignées et inaccessibles de la planète, sont aussi cruciales pour la recherche scientifique sur les effets du changement climatique dans les océans australs. En Arctique, le Groenland est un haut lieu de biodiversité polaire. Ses eaux froides accueillent des espèces emblématiques comme le narval, le morse, le phoque du Groenland ou encore l’ours polaire. Les fjords abritent également des coraux d’eau froide et des communautés benthiques uniques, menacés par la fonte des glaces et l’acidification des océans.
Dans les Caraïbes, les récifs coralliens, mangroves et herbiers marins des Îles Vierges britanniques, de Saint-Barthélemy ou de Bonaire offrent une diversité remarquable de poissons tropicaux, tortues marines et invertébrés. Ces écosystèmes fournissent des fonctions vitales telles que la protection côtière, la régulation du carbone et la pêche artisanale. À Bonaire, par exemple, la gestion efficace du parc marin national a permis de restaurer partiellement les récifs coralliens et de relancer l’écotourisme. -
Les Pays et Territoires d’Outre-mer font face à un paradoxe : bien qu’ils soient riches en biodiversité marine et en valeur écologique stratégique, ils manquent souvent des outils financiers et de l’accès institutionnel nécessaires à la protection de ces atouts. Leur statut politique — non souverains mais autonomes — les place en dehors de nombreux canaux financiers mondiaux accessibles aux pays en développement, tels que le Fonds vert pour le climat (GEF) ou le Fonds pour l’environnement mondial (GCF).
L’UE demeure le principal donateur pour de nombreux PTOM. Grâce à l’instrument NDICI–Global Europe, les PTOM peuvent accéder à des financements via des enveloppes régionales (Caraïbes, Pacifique, Polaire) et des programmes thématiques sur le climat, la biodiversité et la gouvernance des océans. Des programmes comme LIFE, Horizon Europe, et la plateforme BlueInvest offrent des fenêtres supplémentaires pour des solutions fondées sur la nature, la recherche et des modèles économiques durables dans les secteurs marins. Le programme Green Overseas est l’un des rares dispositifs spécifiquement conçus pour les PTOM, facilitant la planification, le renforcement des capacités et l’accès à d’autres fonds.
Bien que les PTOMs ne soient pas toujours directement éligibles aux grands fonds environnementaux mondiaux, ils peuvent néanmoins accéder à ces financements en collaborant avec des entités accréditées. Par exemple, le Fonds pour l’environnement mondial est accessible par le biais de projets régionaux ou via des organisations non gouvernementales partenaires. Le Fonds d’adaptation et le Fonds vert pour le climat peuvent également être mobilisés à travers des institutions intermédiaires reconnues. En parallèle, certains programmes des Nations unies, notamment ceux du PNUE et du PNUD, apportent un appui aux aires marines protégées et aux stratégies de résilience. Toutefois, un effort de plaidoyer institutionnel est indispensable afin que les PTOM soient formellement reconnus comme entités éligibles, ou qu’ils bénéficient de mécanismes spécifiques au sein de ces dispositifs financiers.
Pour les territoires français, le financement peut être mobilisé via l’AFD à travers des programmes de résilience climatique et de biodiversité, parfois en cofinancement avec des fonds de l’UE ou mondiaux. Pour les territoires britanniques, des programmes comme le Blue Belt Programme ou Darwin Plus apportent des ressources essentielles pour la recherche marine, la protection et l’engagement communautaire.
De nouvelles approches telles que les obligations bleues, les échanges dette-nature, et les marchés du carbone liés au carbone bleu (mangroves, herbiers marins) offrent des opportunités émergentes. Par exemple, les obligations bleues souveraines émises par des États insulaires comme les Seychelles constituent un modèle reproductible pour les PTOM plus importants. Les partenariats avec des banques de développement et des acteurs philanthropiques peut permettre l’essor de projets pilotes à objectifs conjoints de conservation et de rentabilité économique.
Les investissements privés restent rares mais sont essentiels pour faire évoluer l’innovation, en particulier dans le tourisme durable, l’aquaculture et les biotechnologies marines. La création d’incubateurs marins, de partenariats public-privé (PPP) et de plates-formes de finance verte locales peut aider à mobiliser des ressources alignées sur les objectifs de biodiversité.
Le graphique ci-dessous présente une estimation indicative des besoins annuels en financement pour assurer la préservation et la valorisation durable de la biodiversité marine dans les PTOMs européens et britanniques. Cette estimation agrège les besoins identifiés dans plusieurs axes clés d’intervention, sur la base de rapports existants, d’initiatives régionales et d’extrapolations par types d’écosystèmes ou de projets. Les besoins en financement pour préserver et valoriser durablement la biodiversité marine dans les PTOM sont estimés à plus de 100 millions d’euros par an.